Critique et traduction de la critique de Amalia Garcia Rubi, à Infoenpunto, Madrid 2012

Alberto Reguera, Paysages sans limites, à la galerie Fernández-Braso

par Amalia Garcia Rubi

Pour cette exposition tant attendue d’Alberto Reguera à la galerie Fernández-Braso, l’artiste est plus vrai que jamais. Aussi juste dans son propos que polyédrique dans sa capacité à transmuter les visions chromatiques, parfois polychromes, parfois monochromes, au nom d’une alchimie que personne n’est encore parvenu à déchiffrer. Tenu depuis toujours par la force se dégageant de la couleur faite matière, lumière, superficie, son aptitude infinie à se recueillir, encore et toujours, dans des pays ou cadres divers, en font le porteur de registres aussi muables qu’authentiques. Il est curieux, voire difficile de comprendre, le temps passant, la portée identitaire de cet artiste et de sa peinture, à peine changée dans son essence et qui reste pourtant si dynamique dans son évolution. En ce sens, nous pourrions affirmer, sans crainte de nous tromper, qu’Alberto Reguera est fidèlement marié à une forme d’expressionisme abstrait qui lui est propre (comme le fut également celui de Rothko) en ceci qu’elle possède une harmonie, voire même une aspiration sous-jacente à l’équilibre, d’où émane tout un répertoire pictural, replet d’allusions au paysage, à la nature, à la vie, au cosmos. Un expressionisme à l’iconoclastie vigoureuse, saisissante et osée. Reguera et ses mélanges infinis d’azur, de pourpre, d’émeraude, de jaune cadmium, d’ocres, de siennes, de dorés et d’argentés, de vermillons, d’oranges embrasés, et même de roses et de bleus ciels fluorescents, sont autant du Reguera que de rêves de l’artiste. Reguera et le mysticisme symbolique. La lumière magnétique, quasi sacrée, que reflètent certains de ses tableaux, nous renvoient, sans le vouloir, à ces fonds paysagers et ciels crépusculaires chargés d’iridescences, peints jadis par les Leonardo, Piombo et Carracci, et qui nous happent dans leurs glissements de lumière et leurs effets atmosphériques transparents. A l’occasion de la plus récente exposition sur son travail actuel, le peintre paraît calme, sûr de lui et de l’impact qu’ont toujours ses projets. Il fait l’aller-retour entre Madrid et Bruxelles, Bruxelles et Paris, Paris et Hong-Kong ou Singapour, puis à nouveau Madrid, conquérant doucement mais surement un marché avide de peintres au charisme vrai, cumulant mille et une visions sur terre, mer et dans les airs, lesquelles, malgré elles, telles des intruses dans la nuit, pénètrent son regard faussement languide, presque indolent, et pourtant si perçant et scrutateur. Nous l’inscrivons aussi vite dans la modernité la plus osée, voire moqueuse, que nous le voyons s’engouffrer dans les brumes romantiques d’une spiritualité aussi tragique qu’idoine, au-delà de la notion d’espace disponible. Nous le voyons se lancer dans le vide et frôler cet abime qui naît et qui meure en un enchaînement incessant d’instants créatifs. Reguera, avec ce mode de vie qui est le sien et toujours depuis la peinture, retourne enfin à Ithaque, après quatre longues années d’absence. Il le fait, comme il ne pouvait en être autrement, avec la force intérieure d’un géant silencieux. (Galerie Fernández Braso, c/ Villanueva 30, Madrid, jusqu’au 10 novembre 2012).

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